J.-D. Morerod u.a. (Hrsg.): Au trou ! Perspectives romandes sur les prisons d’hier et d’aujourd’hui

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Titel
Au trou !. Perspectives romandes sur les prisons d’hier et d’aujourd’hui


Herausgeber
Morerod, Jean-Daniel; Silberstein, Olivier
Erschienen
Lausanne 2019: Société d’histoire de la Suisse romande
Anzahl Seiten
200 p.
von
Elisabeth Salvi

Comme le rappelle l’un des directeurs du volume, l’histoire des prisons suscite de nombreuses recherches en Europe et en Suisse. Le colloque du 28 novembre 2015, à Neuchâtel, édité dans le présent volume, a privilégié la fin du Moyen Âge et la période contemporaine. Sur un total de huit articles, dont un article sur la prison de guerre au Moyen Âge, trois essais sont consacrés aux prisons neuchâteloises et trois autres à celles du canton de Vaud.

Après avoir passé en revue les typologies de l’enfermement au XVe siècle sur la base de l’historiographie récente, Olivier Silberstein relève qu’à Neuchâtel ce sont surtout la prison préventive et la prison de guerre qui semblent être plus largement appliquées. Si la première vise surtout à retenir un inculpé avant l’application de la peine – corporelle ou pécuniaire – la prison de guerre constitue un moyen efficace pour renflouer les finances. Il s’agit alors de capturer un officier ou un dignitaire étranger, et de le libérer contre rançon. Dans le pays de Vaud, Lionel Dorthe observe la manière dont la prison est instrumentalisée par le pouvoir épiscopal et celui de Leurs Excellences de Berne au moment de la conquête. Il constate que le séjour en prison d’un détenu récidiviste considéré comme un « criminel endurci » est d’environ une
semaine durant la période épiscopale alors qu’il double après 1536, cette durée augmentant avec le développement du système fondé sur la recherche des aveux de complicité. En revanche, pour les affaires de moindre importance, les séjours en prison s’allongent. Si les conditions de l’emprisonnement ne sont pas toujours détaillées, les tentatives d’évasion et de suicide ou les décès sont bien documentés par les sources comptables. Elles permettent de constater que la prison est subie par le condamné comme une peine en soi, une forme de torture psychologique qui laisse présager de la rudesse des conditions de détention, certains individus préférant mettre fin à leurs jours plutôt qu’affronter un châtiment pénible (bûcher, gibet, roue). Les Bernois, souverains détenteurs du monopole de la violence, veilleront aussi à restaurer les portes et les verrous des prisons pour renforcer l’éventail punitif dont disposent les juges soucieux d’assurer l’ordre public.

Au moment de la proclamation du canton de Vaud en 1803, les places de détention disponibles pour absorber les détenus de retour de la prison bernoise du Schallenwerk sont insuffisantes. Elles vont être décuplées par le Grand Conseil qui décide de la constitution d’une prison dans chaque district. L’urgence de la situation pousse le canton à utiliser de manière provisoire l’hôpital de la Mercerie qui devient une prison polyvalente avec une maison de santé regroupant malades et aliénés, une maison de détention rassemblant des détenus en maison de correction ainsi qu’une maison de force pour les crimes graves. Ce mélange, selon Léa Berger-Kolopp paraît très vite difficile à gérer et décide les autorités à construire un pénitencier à Béthusy, en 1826, en tant que prison cantonale dédiée à l’exécution des peines correctionnelles et criminelles. Les détenus de la Mercerie y sont alors transférés. Quant aux prisons de district, guère appropriées à des détentions de longue durée, elles seront progressivement supplantées après l’ouverture, en 1905, de la prison du Bois-Mermet, conçue sur le modèle du panoptique. Bâtie aux portes de la capitale, elle devient la prison centrale du canton de Vaud, comme le montre Christophe Vuilleumier, et elle assure, grâce à l’évolution du personnel administratif, l’encadrement d’une population carcérale en pleine évolution au cours du XXe siècle. À Neuchâtel, Claire Piguet constate que la réforme de la justice neuchâteloise, inspirée par la philosophie humaniste des Lumières, influence le renouvellement des prisons. Le concept du pénitencier est délaissé et l’ancien site des prisons est réaménagé avec des dispositions issues de l’architecture hospitalière, scolaire ou militaire pour privilégier une prison polyvalente plutôt que le modèle du panoptique de Bentham.

Au XIXe siècle, quel que soit le modèle d’enfermement envisagé par les cantons, la privation de liberté devient la forme prédominante de punition pratiquée par les systèmes pénaux et civils européens. Dans son article, Ignace Cuttat montre que la justice militaire suisse s’inscrit dans ce mouvement, à l’image du premier Code pénal militaire (1838) aux termes duquel la répression des crimes et des délits prend principalement la forme de différentes variantes d’enfermement (Loi fédérale sur la justice pénale pour les troupes fédérales du 27 août 1851). Jugée indispensable au maintien de la discipline de la troupe, la prison militaire peut être envisagée comme une seconde institution disciplinaire comprise dans une première – l’armée – dans laquelle la discipline est déjà très rigoureuse et qui implique un régime de punitions systématiques, conforme aux objectifs en matière de formation et d’obéissance de l’armée. L’éventail des sanctions oscille entre la punition disciplinaire – soit les peines de prison – et le passage devant les tribunaux militaires, plus rare. L’usage de la prison comme pénalité disciplinaire qui réprime surtout les délits mineurs et les fautes de service légères relève, selon Ignace Cuttat, de la « sanction normalisatrice – au sens de productrice de norme » (p. 147). Par ailleurs, cette discipline s’impose aux soldats en dehors des périodes de service où de courtes peines de prison sont fréquemment prononcées pour réprimer des manquements liés au service, à l’inspection ou à la taxe militaire. Ces condamnations sont alors purgées dans des prisons civiles. Il en résulte une « grande porosité entre les aspects civils et militaires de la vie des citoyens-soldats » (p. 150), favorisant une extension de la norme produite par la discipline militaire, qui use de la prison au domaine civil.

Quant à l’essai de Matthieu Lavoyer, il traite de l’internement administratif défini comme un procédé par lequel un individu se trouve privé de liberté sur décision d’une autorité administrative ou politique. Un arrêté du Conseil d’État neuchâtelois, daté du 19 décembre 1939, portant sur l’internement administratif de personnes s’adonnant habituellement à l’inconduite, durcit les mesures existantes qui dépendaient des autorités administratives ou judiciaires. Désormais, seul le Département de justice est habilité à prononcer l’internement d’un individu sur la base de « rapports souvent catégoriques, établis par les forces de l’ordre » (p. 180). L’enfermement est prévu aux établissements de Bellechasse (FR) pour les femmes et de Witzwil (BE) pour les hommes. Les plaintes et les mémoires des avocats pointant la « faiblesse des preuves et de l’acharnement de dénonciateurs » (p. 181), les voix qui s’élèvent au coeur même de la justice cantonale dès les années 1940 pour dénoncer le non-respect de la séparation des pouvoirs déboucheront en 1953 sur la suppression de cette forme d’internement. La longévité de cette loi, même si en Suisse ces pratiques sont poursuivies jusque dans les années 1980, s’explique par son coût économique et son « efficacité remarquable » (p. 188).

L’ouvrage conclut sur la diversité des systèmes pénitentiaires observés dans les cantons de Neuchâtel et de Vaud et Irène Herrmann les relie à la nécessité « d’affirmer puis de préserver un pouvoir étatique » dont la finalité serait la « protection de la société » (p. 195). Ces divergences constatées entre deux cantons seraient révélatrices d’une situation internationale qui accuse la faillite du modèle carcéral hérité du XIXe siècle. Avec une bibliographie qui conclut chacun des huit articles, le volume explore un chantier important, notamment à l’orée du XIXe siècle où les choix politiques, portés par les modèles issus des discours de la fin du XVIIIe siècle, reconfigurent la prison tant sur le plan architectural qu’idéologique.

Zitierweise:
Salvi, Elisabeth: Rezension zu: Morerod, Jean-Daniel; Silberstein, Olivier (dir.): Au trou ! Perspectives romandes sur les prisons d’hier et d’aujourd’hui, Lausanne : Société d’Histoire de la Suisse Romande, 2019,. Zuerst erschienen in: Revue historique vaudoise, tome 129, 2021, p. 190-192.

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Zuerst veröffentlicht in

Revue historique vaudoise, tome 129, 2021, p. 190-192.

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